REFLEXIONS SUR LES EMEUTES LONDONIENNES

Un peu comme tout le monde, je me suis retrouvé assez abasourdi par les images provenant de Londres. Je regardais les statuts Facebook de mes amis londoniens avec stupeur et je dois avouer que ça m’a fait bizarre de voir le magasin local où je faisais mes courses éventré.

J’ai eu envie d’écrire un peu sur le sujet et d’aller un peu plus loin sur les causes profondes de cet événement. A mon humble avis, il n’y a pas une cause simple et unique mais tout un ensemble de facteurs qui ont abouti à cette situation dramatique.

La lecture des journaux anglais et français offre un regard assez distinct sur les événements. Certains se réjouissent à demi-mot de l’effondrement du modèle communautariste britannique en comparaison avec le modèle français. Je crois qu’il y a erreur de jugement et que les causes des émeutes londoniennes sont assez similaires à celles que les banlieues parisiennes ont connu en 2005.

J’ai essayé de réfléchir sur les causes profondes de ces émeutes et de les mettre en perspective avec celles de Paris d’il y a six ans. Pour la petite histoire, j’habitais Paris l’année où se sont produites les émeutes mais je n’en avais vu que bien peu la réalité, comme protégé par la barrière virtuelle du périphérique.

Je ne prétends pas apporter une solution toute faite à ce problème complexe mais j’essaie de mettre en balance de manière nuancée les origines des problèmes de deux sociétés que je connais plutôt bien.

 

Les modèles de société britanniques et français sont opposés dans leur philosophie de société :

– Le Royaume-Uni favorise les communautés et la décentralisation

– La France a un modèle plus assimilassioniste prônant un égalitarisme républicain

Ca c’est pour la théorie. En pratique, pour avoir vécu un certain temps à Paris et à Londres, je dirais que les situations sont beaucoup plus similaires qu’il n’y paraît.

1 – Un modèle français plus ambitieux dans l’idéal et un modèle anglais plus pragmatique dans les faits

Je m’explique, le modèle républicain français reste très théorique même s’il se repose sur une idée généreuse et ambitieuse.

Premier point : Le fait est que Paris est victime d’une gentrification massive. Les loyers sont devenus très chers (ce qui est aussi les cas à Londres) mais il faut à cela également rajouter la sélection drastique opéré par les propriétaires peu regardant du modèle républicain français. Même si les loyers londoniens sont extrêmement élevés, il est toujours possible d’accéder à une chambre située centralement sans avoir à fournir six mois de caution et les feuilles de salaire de ses arrière-grands-parents. Résultat : les quartiers populaires ont quasiment disparu de Paris intra-muros alors que Londres possède une mixité urbaine plus renforcée malgré des loyers chers.

Deuxième point : Paris est une ville plus discriminante que Londres. C’est triste à remarquer mais officieusement (évidemment) les critères ethniques et les préjugés ont dans leur globalité plus d’importance dans la sélection des candidats à un travail ou pour les entrées en discothèque. On fait beaucoup plus confiance au travail à un jeune de couleur en Angleterre qu’en France. Et même s’ils s’en défendent, les contrôles d’identité par la police au faciès sont  monnaie courante. L’idéalisme français a du mal à résister à la force des faits.

Troisième point : Le facteur culturel chez les policiers. La police britannique est extrêmement flegmatique et courtoise. Le dialogue est une priorité et ils évitent au maximum un quelconque geste humiliant envers une communauté. La prévention fait partie intégrante du travail du policier britannique. Au contraire de la police française, ils ne disposent pas en revanche de forces spéciales d’intervention comme les CRS. En résumé, la police britannique est mieux capable d’éviter les problèmes mais en contrepartie, la police française est mieux capable de réagir à un problème (ce que certains comme Michèle Alliot Marie appelaient le fameux savoir-faire français).

2 – Des capitales de plus en plus inégalitaires et consuméristes

Londres est la ville de toutes les inégalités. Les écarts entre le SMIC anglais et les traders de la City sont à des niveaux extraordinaires élevés. On peut trimer comme un chien pour payer le logement et la carte de transport (plus de cent euros par mois tout de même) et il faut payer les études extrêmement coûteuses. Et les coupes budgétaires du gouvernement conservateur sont énormes dans un pays n’étant pas spécialement connu pour son Etat-providence ce qui ne va arranger les choses dans le futur. Par la gentrification évoquée plus haut, Paris est uniquement républicaine en reléguant les pauvres en périphérie, sans distinction d’origine.

De plus, la pression consumériste est extraordinaire : soldes, publicité, cartes de crédit, etc. A cela, vous ajoutez une télévision abrutissante, une individualisation toujours plus grande de nos sociétés et un fossé linguistique qui se creuse toujours plus. Cette individualisation est plus marquée chez les Anglo-saxons mais la France se rattrape assez vite. La chose qui risque de faire de plus en plus mal en France à mon avis, c’est la fracture linguistique qui révèle, à travers la pauvreté de vocabulaire et l’impossibilité d’avoir une pensée subtile et nuancée, l’animal ancré au plus profond en chacun de nous. Je crois que c’est un phénomène complètement sous-évalué et cette fracture qui progresse de manière lente et diffuse crée une génération très difficilement intégrable et cela se paiera probablement cher dans le futur.

3 – Mêmes causes, mêmes effets

Dans les deux cas, les pauvres sont exclus de la société vantée dans les publicités. La seule véritable nuance est que finalement Londres est plus communautarisée avec des avantages et des inconvénients par rapport au modèle français : une moins bonne assimilation au modèle national mais aussi une plus grande solidarité au sein de la communauté elle-même (celle-ci marchait aussi beaucoup plus fort en France pendant l’après-guerre).

Au départ des deux émeutes, il y a eu une mort de jeune qui a ensuite servi d’étincelle à un phénomène apolitique. Il y a ensuite eu des phénomènes d’aubaine, d’imitation (amplifiés pas la télévision ou les réseaux sociaux) mais pas de sens politique véritable au mouvement. Et c’est bien là où les deux sociétés se rejoignent : l’instinct animal a prédominé.

C’est toute une partie entière d’une génération qui se retrouve exclue tout en se retrouvant bombardé par une société de consommation de masse qui crée des besoins en augmentation constante. C’est aussi la raison que dans des pays beaucoup moins développés que j’ai pu visité, je me suis aperçu que le bonheur n’était pas vraiment proportionnel au niveau de richesse effective. Je ne retrouvais pas tous ces besoins artificiels.

Les individus qui créent ces situations déplorables sont complètement responsables devant la loi mais je crois que ces événements ne sont pas arrivés par hasard, qu’une partie de la population est en phase de régression et que l’on est loin d’aller dans la bonne direction pour régler les problèmes d’un coté comme de l’autre.

 

 

 

 

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4 Commentaires

  1. Commentaire par fabrice

    fabrice Répondre at 22:51

    Super interessant ton article!
    Je ne connais pas assez Londres mais ce que tu dis sonne juste.

    Les Anglais n’ont vraiment pas d’équivalant des CRS? C’est curieux!

    • Commentaire par Pierre

      Pierre Répondre at 23:00

      Non, en fait ils donnent des équipement spéciaux aux policiers réguliers pour faire face aux situations spéciales. Par conséquent, ils ne sont pas entraînés à faire face à certaines situations.

  2. Commentaire par NowMadNow

    NowMadNow Répondre at 08:17

    Article bien intéressant, on voit que tu connais ton sujet 😉

    Ce qui me perturbe, c’est qu’au moment des faits, dans les deux cas, on est tombé dans la surenchère médiatique, une consommation d’images frénétique, comme si on vivait par procuration cette « rage de destruction », puis une fois que c’est passé… On n’en parle plus réellement, on l’occulte. C’est assez particulier.

    NowMadNow

    • Commentaire par Pierre

      Pierre Répondre at 13:51

      C’est bien vrai tout ça. On est passé dans une société de l’image, de l’émotion instantané oùl’on réagit plus qu’on n’agit ou réfléchit.
      Ce n’est pas vraiment comme ça que l’on construit sur le long terme. C’est dommage…

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