REGARD BRESILIEN : INTERVIEW DE IASA

J’ai l’habitude de lire avec beaucoup d’intérêt les interview de voyageurs sur différents blogs. Elles permettent de donner une perspective nouvelle et de partager des expériences souvent intéressantes. Mais je me suis posé une question nouvelle, celle du regard des étrangers qui viennent en Europe. Cette vision, on l’a retrouve très peu sur les sites internet et pourtant, le regard d’autrui sur notre quotidien peut nous enseigner certaines choses que l’on a oubliées.

Je ne suis pas allé très loin puisque j’ai demandé à Iasa, ma colocataire brésilienne à Barcelone, son avis sur la question. (j’ai traduit en français du mieux que j’ai pu ses réponses).

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–  Bonjour Iasa ! Peux-tu te présenter en trois phrases ?
 

Bonjour Pierre ! En trois phrases ? Voyons… je suis brésilienne, journaliste et mauvaise cuisinière, dans cet ordre. Au Brésil, je travaillais dans l’édition et la maquette de journaux et revues, mais j’ai fini par me fatiguer de la vie de bureau. Je suis une de ces personnes qui ne peuvent supporter l’ennui. Voilà pourquoi j’ai cherché des motifs pour voyager.

– Tu as quitté ton pays, le Brésil, il y a maintenant six mois pour étudier à Barcelone. Qu’est-ce qui t’a motivé à partir aussi loin pour étudier ?
 

J’ai toujours voulu vivre dans un autre pays pour un temps. Quand j’avais 19 ans, je suis allé aux Etats-Unis pour un programme d’échange et j’y ai passé cinq mois. Je suis avant tout allé aux Etats-Unis parce que ça me revenait moins cher, mais j’ai toujours eu envie d’aller vivre en Europe.
Le plus important est que ce fut mon premier voyage international, et le début d’une passion qui, je pense, ne se terminera jamais. En 2010, je travaillais en freelance, et comme j’avais pas mal de temps libre, je suis parti en backpacking en Europe.

Je suis tombée amoureuse de Barcelone et de Rome. J’ai choisi l’Espagne parce que je connaissais déjà un peu la langue espagnole, parce que les Espagnols ont quelque chose de brésilien et parce qu’ici on mange le melon avec du jambon. Et j’ai ainsi décidé que j’y viendrais au minimum un an. Que personne ne le sache, mais le Master ne fut rien de plus qu’une raison pour justifier cette expérience. Connais-tu l’histoire du moustique qui pique et contamine ? Je crois que le moustique voyageur m’a trouvé.

– Est-ce que tu as découvert ce que c’était être brésilienne réellement en sortant de ton pays ? Est-ce tu penses que les Européens ont des préjugés sur toi par le simple fait que tu sois brésilienne ? Et si oui, quels sont-ils ?
 

D’une certaine manière, je crois que cela donne une plutôt bonne impression aux Européens qui s’amusent bien avec les Brésliens car ils sont ouverts et joyeux. On m’a aussi dit que les Brésiliens sont les bienvenus parce qu’ils sont malins, ont bon coeur et aiment travailler.
C’est pour le moins ce que je vois et ressens à Barcelone. Je n’ai souffert d’aucun préjugé autre que d’écouter quelqu’un chanter Michel Teló* quand j’ai dit que je venais du Brésil (rires). Mais évidemment, tout n’est pas ainsi.
Je connais des Brésiliens qui vivent ici, travaillent au noir et maintiennent une posture que je trouve assez stupide. Non pour le fait de travailler au noir, ça non. Mais pour critiquer les problèmes du Brésil et continuer à les reproduire ici en Europe. Critiquer le fameux « jeitinho brasileiro », qui consiste à tromper et à profiter des failles du système pour se distinguer et à reproduire ceci ici-même.
Evidemment, si un Espagnol a une mauvaise expérience avec une de ces personnes, il va le définir comme brésilien, et non comme mauvais personne. Mais des mauvaises personnes, il y en a de toutes les nationalités.

Quand nous sommes dans un autre pays, dans ce « plongeon culturel« , il est inévitable que nous cherchions des identifications, des éléments qui définissent notre caractère et notre identité. Les Brésiliens sont, par nature, fiers d’être brésiliens, et d’une certaine manière, il me semble qu’ils veulent que les autres sachent qu’ils viennent du Brésil, qu’on y boit de la caipirinha et que l’on y vit bien. Et plus encore que jamais, le Brésil se trouve dans un bon moment. Dans quasiment toutes les grandes villes où je suis allé, il y a communauté forte de Brésiliens qui essaye de maintenir des éléments basiques et forts de notre culture tels que la nourriture et la musique, par exemple.

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=hcm55lU9knw[/youtube]

 *Pour ceux qui auraient échappé à Michel Teló c’est lui!

– Tu as eu l’opportunité de voyager en Europe. Est-ce que tu ressens chaque pays comme complètement différent ou trouves-tu qu’il existe ce qu’on pourrait appeler une « culture européenne » ?

Chaque pays possède ses propres caractéristiques, clairement. Et elles peuvent être complètement différentes à leur manière.
Mais le fait est je viens d’un pays qui a 501 ans. En 1500, beaucoup de choses s’étaient déjà passées en Europe, beaucoup de cultures avaient emergé ou déjà disparu, des villes entières et des identités formées.
Nous sommes un mélange de ce qui nous a influencé; vous faites partie de cette influence. Celà ne change rien au fait que je suis amoureuse de l’histoire du Brésil.
Mais quand tu parcours les rues européennes, tu peux sentir que beaucoup de choses se sont passé ici. La culture (ou plus exactement la connaissance culturelle) est ici quelque chose de très fort, sans aucun doute.
Il semblerait que le consumérisme ne soit pas aussi fort, ou tout au moins, pas aussi destructeur. Il y a un stéréotype sur le fait que les Européens sont beaux, cultivés, connaisseurs en vin et en histoire. Et je le vois comme une vérité. J’adore le fait que quasiment tout le monde connaît le Brésil, l’Amérique du Sud et un peu de son histoire.
C’est triste à dire, mais si tu arrives au Brésil et que tu demandes à quelqu’un dans la rue ce qu’est la Catalogne ou la capitale de la Belgique, il est très probable qu’il n’en ait aucune idée. Cette méconnaissance existe aussi aux Etats-Unis, où les écoles n’enseignent que très peu l’histoire et la géographie mondiale. Ici, les gens sont habitués à la culture qui semble être une chose naturelle. Concernant les stéréotypes, bon… bien que les tendances vestimentaires sont variées selon les les pays, je trouve que tous sont bien habillés. Voilà ce que je peux dire. Il peuvent avoir des traditions différentes pour leurs loisirs quotidiens, mais ils profitent de leur temps de loisir. Tu me comprends?

– Oui ça a beaucoup de sens tout ce que tu dis. Quelle est la chose la plus étrange que tu aies vue en vivant ici ?
 

Le plus étrange ? Je ne sais pas quoi dire de super intéressant… j’adore les horaires de travail de Barcelone. Au Brésil, nous nous levons à 6h30, déjeunons et ouvrons les bureaux à 8h.
Ici, quasiment rien ne fonctionne à 8h ! Les gens se lèvent à 10h, et c’est génial, parce qu’ainsi ils peuvent aller au lit plus tard et profiter de la nuit d’une meilleure manière, à dîner, aller au théâtre ou autre chose.
Et les horaires des repas sont tous décalés : le petit-déjeuner, le déjeuner, le goûter, le dîner. En Espagne, on mange à 15h. Les premiers mois, je mangeais seule sinon la faim m’aurait tuée. Maintenant je suis habituée, mais en fin de semaine, sans m’en apercevoir, je me mets à cuisiner très tôt. C’est que le midi c’est l’heure de manger pour moi !

– Est-ce difficile pour quelqu’un venant d’Amérique du Sud de venir étudier et travailler en Europe ?
 

Ce n’est pas facile. Tu dois être accepté par l’université, économiser (beaucoup) de l’argent et faire toutes les papasseries du visa, qui finissent par coûter assez cher et tardent un ou deux mois au minimum. J’ai un visa étudiant, je ne sais pas exactement comment ça se passe pour ceux qui viennent travailler, mais j’imagine que cela ne doit pas être très différent. Sur l’expérience culturelle, cela dépend jusqu’à quel point tu es prêt à t’immerger. Il est assez facile, avec internet et les fast food, de vivre de la même manière dans quasiment tous les endroits. Mais si tu décides de vivre la vie locale et de laisser la solitude d’être un étrange inconnu, cela peut se révéler plus compliqué. Mais cela en vaut la peine.

– Avec le recul, quelles sont pour toi les qualités et les défauts du Brésil et de l’Espagne ?
 

Si je commence à parler des qualités du Brésil, je ne m’arrête pas. Mais le meilleur du Brésil, ce sont ces personnes qui souffrent, passent des moments terribles, mais qui en fin de semaine vont appeler les amis pour faire une samba et célébrer la vie. Ce sont des gens qui travaillent, qui ont une vraie valeur et qui commencent à découvrir que nous n’avons pas besoin d’être silimaires aux autres, que nous pouvons être nous-même, et c’est très bien comme ça.
L’inconvénient est que nous sommes tellement habitués aux « mauvais moments » que nous n’arrivons pas à prendre conscience du fait que , si nous voulons changer, nous devons commencer quelque part… Et l’Espagne, bon, elle n’est pas dans un moment idéal. A voir comment elle va s’en sortir.

– Une chose assez remarquable qui m’a frappé de ton pays est la facilité qu’ont les gens à être plus heureux avec moins par rapport à bon nombre de personnes en Europe ? Es-tu de mon avis et pourquoi ?
 

Haha oui, c’est la première chose à laquelle je pense quand je pense aux Brésiliens. Cela me fait sourire comme nous chnageons notre vision sur notre culture quand nous apprenons à connaître d’autres cultures y quand nous sommes libres de tout préjugé.
J’ai eu une culture très patriote, mon père est de ceux qui défend son pays au delà de toute dissonance. Le Brésil est passé par une dictature assez forte, et c’était il n’y a pas si longtemps. Mais en même temps, ce fut une époque de grande production culturelle. Si tu écoutes de la Bossa Nova (je te recommande Carta Ao Tom), tu verras une manière joyeuse de chanter la tristesse, de parler de l’infortune, fortement inspirée par les plages et les beautés de notre pays. Nous avons un peu de ça. Les gens traversent des difficultés, souffrent pour acheter à manger, mais ne manquent ni d’ami, ni de musique, ni le sacro-saint barbecue -qui peut ne pas être le meilleur barbecue qu’il soit, mais c’est le barbecue de la reddition, un moment pour se relaxer, pour oublier ce qu’il y a de mal et se concentrer sur ce qui nous rend heureux-. C’est une idée de la famille, des amis, un espoir dont je ne saurais te dire d’où cela vient, mais qui n’est pas prêt de mourir. Il y a une phrase célèbre au Brésil, qui fut un slogan de gouvernement, qui disait « Je suis brésilien et je renoncerai jamais ». Nous sommes ainsi.
Je ne connais pas suffisament les Européens pour me permettre de dire comment ils sont.

– Tu désires continuer à voyager ou t’installer dans un pays en particulier? Quels sont tes projets pour le futur?
 

Je me concentre à finir le Master que je suis en train d’étudier. J’ai une date pour sortir d’Espagne, mais je ne sais pas si je rentre tout de suite au Brésil. J’aimerais vivre un peu plus, parce qu’une année n’est pas suffisante pour connaître la vie catalane… mais il se peut aussi que je prolonge mon voyage vers de nouveaux lieux. Je pense beaucoup en ce moment, et il me semble que je suis dans le moment idéal pour cela. Le problème quand tu voyages est que tu te rends compte que le monde est très, très grand, mais aussi très petit. Et possible.

Merci pour ce regard rafraîchissant sur le monde Iasa ! 

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6 Commentaires

  1. Commentaire par Xtinette

    Xtinette Répondre at 10:41

    Merci pour cette belle interview bien dépaysante !

  2. Commentaire par fabrice

    fabrice Répondre at 21:59

    Très sympa cette itw:-) J’en est fait une récemment d’ailleurs dans le même genre, une colombienne en France.
    C’est vrai qu’on peut d’itw dans ce sens:-)

    • Commentaire par Pierre

      Pierre Répondre at 11:21

      Clair! Je suis presque déçu d’avoir peu de commentaires sur ce genre de choses alors que j’en ai plus sur de bons plans qui me demandent peu de temps à rédiger. Mais c’est la vie et ça fait partie de mon plaisir de blogueur 🙂

  3. Commentaire par NowMadNow

    NowMadNow Répondre at 08:51

    Je suis comme toi, j’apprécie beaucoup les interviews de voyageurs, en particulier ceux qui s’installent durablement à un endroit et relatent leur expérience par rapport à leur culture d’origine.

    Merci 😉

    NowMadNow

  4. Commentaire par Lucie

    Lucie Répondre at 10:42

    Mais oui, c’est une interview très intéressante. C’est vrai que l’on en voit peu dans ce sens là, elles sont pourtant très enrichissantes. merci!

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