Après une bonne nuit dans mon immense chambre désertique, je m’en fus demander à la réception les activité possibles dans la capitale égyptienne. Je réservais pour aller aux Pyramides le lendemain, mais on ne me conseillait pas grand chose d’autre à part les activités où ils avaient une commission. En revanche, on me déconseillait d’aller vers la place plus au sud : la place Tahir, célèbre pour sa contestation du régime dictatorial de Moubarak.
En sortant de l’hostel, je n’avais même pas fait cent mètres que je vis deux petites centaines d’hommes aux habits de beau coton blanc et plus barbus que le père noël. Ils n’avaient pas l’air d’être spécialement très contents et se dirigeaient vers la place où l’on m’avait déconseillé d’aller.
Ils avaient tout l’air de salafistes, ces personnages islamistes extrémistes que je voyais à la télé mais que je ne voyais jamais dans les rues en France.
Je fis un tour dans le centre, où l’immense hôtel Hilton dominait les rues pauvres du Caire et les bâtiments publics, défendus par des barbelés anarchiques. Mais en revenant, la tentation de voir d’un peu près ce qui se passait dans cette place devenait tout simplement irrésistible. Et comme Oscar Wilde disait : « Le meilleur moyen de résister à la tentation c’est d’y céder. » Alors je suis allé voir l’action d’un peu plus près sous ma physionomie de camouflage. J’étais en mode barbe de trois semaines pendant le séjour, et comme mon teint un peu basané passe bien à l’international, je pouvais me faire passer pour un local tant que mes lèvres n’émettaient pas de vibrations.
Je repensais qu’à la même période de l’année, j’étais l’an dernier en train de discuter avec les Occupy Wall Street ; ici, j’étais toujours au cœur de la contestation, mais une contestation d’un style tout autre cette fois-ci. Choc des civilisations, je n’en sais rien à vrai dire, mais contraste des cultures, oui sans l’ombre du moindre doute. La terre qui nous voit naître influence tellement la manière de penser du nouveau-né qu’il lui sera tant difficile de prendre du recul par la suite, même pour les être les plus libres.
Que dire de ce que j’ai vu ?
Difficile de croire que cette même place était le symbole du renversement de la dictature moins de deux ans auparavant.
Je voyais cette moto conduite par un salafiste et deux femmes en niqab à l’arrière, étrange oxymore entre la liberté et le dogme religieux le plus dur. Et cette autre dame de noir intégral portant des lunettes de soleil, qui lui donnaient l’aspect du négatif photographique de l’homme invisible.
De grandes prières collectives s’organisaient et des discours enflammés, dont je ne comprenais le sens mais dont je sous-entendais l’ardeur, animaient la place.
Je restais un peu ébahi de voir ces femmes en niqab venues manifester. Voulaient-elles réellement un peu moins de liberté, vraiment ?
Je regardais plus tard en soirée quel était la revendication exacte de la manifestation : il s’agissait bien d’appliquer la charia et de mettre le Coran au dessus de la constitution égyptienne.
Le jour où je quittais Le Caire, Israël bombardait Gaza. La place était envahie par les manifestants pro-palestiens. Et quelques jours après, cette même place devenait le lieu d’expression contre l’extension des pouvoirs du président Morsi de la part d’une jeunesse qui ne veut pas pas voir sa révolution volée. Tahir ou l’expression de deux mondes opposés.
5 Commentaires
Commentaire par Nico
Nico at 08:43
Merci pour ce reportage au coeur du Caire ! Je devais être dans l’avion demain matin en direction de cette magnifique ville mais à cause des récentes poussés de désir de pouvoir du cher Morsi, mon meeting est repoussé à une date ultérieure !
C’est vraiment triste ce recul dans le temps que subi l’Egypte depuis la révolution et la chute de Moubarak. Au moins, même si c’était un véritable dictateur, Moubarak avait permit à l’Egypte en mettant le parti des frères musulmans de côté, de ne pas s’extrémiser comme certains de ces voisins !
J’ai peur pour ce pays que j’affectionne. Croisons les doigts et continuons à les aider…
Merci encore pour ce texte qui m’a fait voyager avant d’aller bosser.
Commentaire par Pierre
Pierre at 15:09
Un plaisir Nico!
Oui croisons les doigts pour que ça ne vire pas à la théocratie comme en Iran.
Ce serait moche d’avoir fait tout ça pour ça.
Il y a pourtant des gens formidables là-bas.
Commentaire par Arthur
Arthur at 08:24
Tu as le coeur bien accroché, plus d’une personne serait restée en retrait… et moi pas le dernier.
La situation n’est pas simple tant les tenants et aboutissants sont nombreux. Les dictateurs auparavant étaient placés par l’idéologie et les pouvoirs occidentaux pour en exploiter les ressources… Maintenant, l' »auto-gérance » est polluée par ce genre d’influence, ainsi que celle des divers trafics d’armes… Le choc mal venu des civilisations…
Et à quoi ça ressemble, un « vrai salafiste » ?
Commentaire par Pierre
Pierre at 15:21
C’est clair que les enjeux géopolitiques sont complexes dans cette poudrière.
Par exemple, le régime saoudien est vraiment intégriste et antidémocratique(en y regardant de près Ben Laden n’est pas venu de nulle part) et pourtant ils est soutenu par les Occidentaux parce qu’il a les plus grandes réserves de pétrole et parce qu’il est ennemi de l’Iran.
J’ai hésité à y faire un tour mais comme je passe bien pour un local je me suis dis pourquoi pas.
Le salafiste typique il ressemble à l’homme qu’on peut voir sur la gauche, tout de blanc vêtu avec une bonne grosse barbe. Désolé de pas avoir pris de meilleur cliché mais c’était pas évident 😉
Commentaire par Arthur
Arthur at 12:48
Oui j’imagine, d’ailleurs merci beaucoup pour ce cliché
C’est drôle après que les « grands occidentaux » dénoncent dans les discours à l’intérieur de leur propre pays ces dictatures etc et qu’ils les soutiennent totalement. Françafrique…