SOUVENIRS : RENCONTRE AVEC DES SANS CHEMISES D’AMERIQUE DU SUD (Partie 1)

Rencontres avec des descaminados d’Amérique du Sud

En me baladant dans les rue de Buenos Aires, les gens vous rappellent à chaque instant les inégalités incroyables d’opportunité à la naissance entre chaque être humain. Je reprends des écrits que j’avais ébauché dans mon ancien blog il y a deux ans : deux rencontres qui vous font réfléchir sur l’injustice de la vie.

Un dimanche en fin d’après-midi à Buenos Aires, je pars en quête de quelques produits pour mon petit confort personnel mais je me retrouve vite tenté par l’appel d’un banc miséreux et tout déglingué de la Plaza San Martín qui n’attendait pas moins qu’un pauvre corps, tout lessivé par le soleil, à satisfaire. Finalement, je m’endors une petite heure, histoire de m’adapter aux habitudes locales, avant de réémerger. En état d’éveil poreux, je vois un gars d’une cinquantaine d’années assis sur le banc d’en face qui me fait signe de la main. Je décide de le rejoindre.

Nous luttons pour une Argentine où les chiens des riches cessent d’être mieux alimentés que les enfants des pauvres.”

Cet homme est vraiment stupéfiant. Il se demande si je ne suis pas un peu fou à dormir la tête calée dans un trou de banc. Joseph est le type de clochard qui n’aime pas les discussions de clochard. Il devine du premier coup mon âge et est capable de parler fort bien plusieurs langues. Son français est vraiment impeccable et ferait mourir de honte une armée de diplomates. Il me dit qu’il a voyagé pendant vingt-six ans pour finalement revenir là où tout avait commencé, dans ce vaste tumulte qui le vit naître.

Il ne reste plus beaucoup de dents à l’ami Joseph. Seules quelques quenottes font office de vestiges ayant survécu aux marées d’une vie que je présume bien tourmentée. Même s’il se revendique comme n’étant pas poète, il apprécie donner à manger (de ce qu’il trouve ou parfois achète) aux oiseaux. Il me montre son « toilette privé » qui est en fait une statue dont il connaît l’histoire par cœur et son « appartement », un modeste sac jaune contenant son nécessaire de survie.

Il est d’une immense générosité, prêt à partager toujours le peu qu’il a, à partir du moment où les gens sont agréables avec lui. On s’aperçoit assez vite que les douches ne sont probablement pas quotidiennes mais je suis assez frappé par sa bonne bouille bien rasée et par sa relative bonne élégance vestimentaire. Joseph a cette dignité toute simple et derrière ses « hijo puta » très affectueux se cache une vraie grande pudeur. Cet homme-là a été fracassé par la vie, c’est évident mais par respect pour lui, je ne l’embarrasse pas plus. Comme il dit en versant une petite larme, chacun a son histoire, avec ses problèmes et malgré tout, grâce au bon philosophe qu’il est, on balaye momentanément tous les tragédies passées pour savourer le court moment présent. Et de cigarette en cigarette, cela a bien pris cinq bonnes heures au final.

Je dois malgré tout partir, laissant cent pesos dans son sac à un moment où il s’est absenté. Il préfère demander de l’argent aux riches plutôt qu’au jeunes pauvres mais me considérant comme « plutôt riche » ici car venant d’Europe, j’ai vu ça plutôt comme un bon investissement en bon économiste que je suis. Le brave homme est un peu triste quand je le lui dis que je dois le quitter, il me lâche un dernier « hijo puta » pour la route, me fait un petit “abrazo” et je repars un peu plus “riche” vers mon hostel débusqué la veille.

Pendant une semaine, j’avale les kilomètres dans cette ville de Buenos Aires et mes pieds ne sont pas prêts de me remercier.

Une rue de La Boca (quartier populaire de Buenos Aires)

 

Je me suis beaucoup baladé dans le quartier populaire de la Boca et je suis finalement assez effaré des inégalités sociales à Buenos Aires. Certains quartiers ressemblent à s’y méprendre à ceux de Paris (Buenos Aires est même surnommé le Paris du Sud) tandis que celui de La Boca, en sortant des deux rues touristiques, paraît être un autre continent, on voit des gens vivre dans de vétustes maisons en tôle avec une vaste saleté ambiante. A Buenos Aires, on se sent comme en Europe mais une Europe de sortie de guerre avec cette plus grande simplicité dans les relations humaines mais aussi des pauvres vraiment pauvres. Il faut probablement des trésors d’espoir à ceux qui ont très peu pour survivre. On comprend mieux pourquoi certaines icônes sont adorées à un niveau qu’il nous est inconnu sur le vieux continent. J’en ai dénombré principalement trois qui parlent chacune d’une manière différente aux « sans-chemises* » à savoir le Che, Evita et Maradona.

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4 Commentaires

  1. Commentaire par fabrice

    fabrice Répondre at 14:08

    Beau billet Pierre! Le genre de rencontre qui fait réfléchir!

  2. Commentaire par Pierre

    Pierre Répondre at 00:11

    Merci Fabrice ! C’est le genre d’expérience qui rend les voyages grands!

  3. Commentaire par silvia

    silvia Répondre at 11:27

    It’s a relief to meet these kind of people.
    You a are a very good writer by the way.
    Bisous

  4. Commentaire par Pierre

    Pierre Répondre at 21:10

    Many thanks Silvia 🙂 I hope you meet some of them at work from time to time.

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